NEUVIÈME ÉPISODE


 

  Florial est retourné chez lui et se retrouve sur le chemin derrière l'auberge. Il a encore un peu de route à faire pour parvenir à son village. Il est heureux de rentrer. Il repense avec nostalgie à son aventure qui lui a permis de se lier d'amitié avec un humain. Il sourit en imaginant les bonnes soirées au cours desquelles il va raconter son histoire à son peuple puis, il l'espère, à ses enfants.

Robin, au dernier instant, estime qu'il n'a pas atteint le but. Il n'est parti que depuis deux ou trois mois, c'est si court dans une existence bien qu'il ait l'impression d'en avoir vécu depuis, plusieurs. Sa jeunesse lui accorde tous les atouts pour poursuivre sa quête. Gautier ayant éveillé sa curiosité et touché un point sensible de sa conscience, il demande à rejoindre, à son époque, donc presque trois siècles avant son ami, la terre de Bretagne.

 

Le temps est à la grisaille et s'harmonise avec l'état d'esprit de Robin qui ne peut s'empêcher de passer en revue toutes les péripéties vécues avec Florial. C'est une manière de le garder présent le plus possible. À peine sorti du couloir, Robin veut marquer le passage pour pouvoir y revenir aisément. Il se trouve sur un perron qui surplombe une sorte de petit escalier aménagé dans des rochers grisés par l'érosion.

- Inutile, pense-t-il. Cet endroit remarquable doit se retrouver facilement.

Il descend et avance de quelques mètres, il regarde les environs pour les fixer dans sa mémoire. De jeunes arbres et des broussailles clairsemées entourent le passage et Robin fixe l'image, certain de ne pas l'oublier. Il se retourne et démarre d'un bon pas, relevant d'un coup d'épaule son sac qui s'est alourdi depuis son départ. Derrière lui, l'escalier s'efface lentement à mesure qu'il avance. Une petite pluie fine, insistante, tombe sans discontinuer. Les nuages s'étalent en voile translucide et chaque goutte reflète la clarté qui accroche au paysage des rideaux mouvants de perles lumineuses. Des formes fugitives se glissent au travers et des rires, à peine perceptibles, fusent de toutes parts. Robin tourne la tête, s'arrête, écoute. Rien n'est précis, personne ne se manifeste. Il finit par se dire que ce sont les bruits mouillés de l'averse qui lui donnent des hallucinations. Le jour déclinant et la pluie discontinue incitent le jeune homme à trouver un refuge. Les arbres au feuillage épars et les broussailles n'offrent aucun abri. La forêt clairsemée s'étale et on n'en distingue pas l'orée. L'ombre gagne progressivement et l'atmosphère humide se refroidit.

 

Sur la gauche, au milieu du bois, une forme grise apparaît imprécise. Robin hésite. Est-ce un énorme animal tapi, guettant sa proie ? Le pèlerin recule lentement et se demande s'il ne doit pas prendre la fuite. Il observe la masse qui ne fait aucun mouvement, même pas celui rythmique d'une respiration. Une cage thoracique d'une telle ampleur devrait montrer une activité. Tout est immobile. La curiosité l'emportant sur la prudence, Robin avance pas à pas. Le sol spongieux absorbe le bruit de sa marche. Petit à petit il s'enhardit car sa vision devient nette. C'est un rocher, de forme curieuse, mais il constate que c'est bien de la pierre. Quatre rocs visiblement taillés, soutiennent une dalle cyclopéenne. Ainsi agencé, l'assemblage évoque une hutte de granite.

- Pourquoi a-t-on utilisé une force titanesque pour édifier ce modeste abri ? s'interroge Robin.

Précautionneusement il vérifie que le lieu est vide et que ce n'est pas l'antre de quelque monstre maléfique. À l'intérieur la terre n'est pas retournée et aucun relief de repas n'indique une fréquentation animale.

- Parfait, se dit le pèlerin. Le ciel m'octroie un toit pour m'abriter.

Il se débarrasse de son manteau et l'étale pour le faire sécher. Puis il sort de son sac une cape, cadeau de Messire Jean et quelques victuailles. Il mange rapidement avec dans la bouche et le cœur le goût amer de la solitude. Puis envoyant des pensées à Florial, il s'enroule dans le morceau d'étoffe et parvient à s'endormir, bercé par le murmure ininterrompu de l'averse.

Un grondement sourd et la trépidation du sol le sortent brutalement du sommeil. Dans la nuit noire, il sent les rocs ébranlés s'entrechoquer. Il sort précipitamment tirant derrière lui le sac. Une plainte jaillit de l'endroit où il était couché et s'enfle languissante comme une lamentation funèbre. Terrorisé, Robin voudrait s'enfuir mais une force l'immobilise. Une voix éclate et tonne dans une langue inconnue. Le jeune homme voudrait répondre mais ne comprend pas le sens des paroles. Il concentre sa pensée et tente d'émettre un message à l'adresse de la créature qui hurle maintenant comme un orage déchaîné. Robin s'ingénie à envoyer son nom et réclamer une réponse. S'il n'était maintenu comme dans un étau, il tremblerait d'effroi. Soudain une pensée rugit entre les siennes.

- Qui es-tu pour oser venir profaner ma tombe ?

- Mon nom est Robin et je suis juste venu me mettre à l'abri.

- Mécréant ! Trouver refuge dans une sépulture.

- J'ignorais que cela en était une.

- Comment peut-on ignorer la tombe d'un chef ?

- Je ne suis pas d'ici, tente-t-il de s'excuser, je suis un pèlerin.

 

La puissance de l'esprit outragé cogne dans sa tête, déversant brutalement son courroux. Cette pensée extérieure fouille, griffant son cerveau à la recherche d'une faille pour alimenter sa colère. Elle s'acharne, labourant tout d'un soc terrible puis la fureur faiblit ne trouvant aucune prise dans l'esprit placide de Robin. L'étreinte invisible se desserre. La voix reprend toujours forte mais apaisée.

- Je n'ai trouvé en toi nulle trace de traîtrise ni de mensonge. Ta pensée est pure, emplie de compassion et de recherche mystique. Tu as un idéal encore insatisfait. Qu'es-tu venu faire sur cette terre ?

- Je suis à la poursuite des légendes qui ont bercé l'enfance d'un ami.

- Pourquoi est-ce donc un pèlerinage ? Aurait-il trépassé, lui aussi.

- Il n'est pas encore né, réplique Robin.

- Serait-ce que tu veuilles engendrer ta descendance ici ?

- Je ne sais pas encore, s'interroge Robin. Ce n'est pas ce qui me motive.

- Erre-t-il comme moi dans les limbes ?

- Peut-être en ce moment avant sa prochaine incarnation.

- Tes paroles n'ont aucun sens pour moi. Explique-toi, te moquerais-tu de moi ?

Le pèlerin sent à nouveau la force se resserrer autour de lui.

- Vous êtes pourtant certainement capable de comprendre cela. Je suis un voyageur du temps.

Et Robin de tenter d'expliquer sa rencontre avec le petit peuple et le monde féerique, puis son excursion dans le futur.

- Comment tout cela est-il possible ? doute le mort. Ce n'est que légendes et divagations de l'esprit.

- N'avez-vous donc pas accès aux autres mondes ? s'étonne Robin. Un mort doit pouvoir voyager et surtout voir ce que nos yeux de chair ignorent.

- Je ne connais que cet endroit autour de ma sépulture, dans la solitude et la fureur. La mort est une prison. D'ailleurs je suis surpris que tu puisses m'entendre et me parler.

- Je vous entends dans ma tête, je comprends vos pensées mais ne connais pas votre langue. Je vous réponds mentalement sinon vous non plus ne comprendriez pas mes paroles. C'est la première fois que je communique avec un mort. Pourquoi restez-vous ici ? Ne souhaitez-vous pas revenir parmi les vivants pour vous libérer de votre courroux ? Comment êtes-vous mort ?

- Ici c'est ma terre. J'étais en lutte avec mon cousin qui voulait me déposséder de mon héritage et de mon autorité. Il a tenté de me déshonorer auprès du conseil des chefs et, comme ceux-ci ont validé la légitimité de mes droits, il m'a déclaré une guerre sans merci. Par traîtrise, il est parvenu à s'approcher de moi jusque dans ma maison et me planter une lame dans le dos.

Aaah !... la douleur irradie mon corps trop souvent… J'ai pu me retourner et croiser son regard triomphant. J'ai juré que jamais je ne lui laisserai accomplir son dessein et que je défendrai l'accès à ma terre jusqu'à la fin des temps, dusses-je le faire seul. La faiblesse provoquée par la blessure m'anéantissait et je me suis effondré dans une brume noire. Les jours suivants, j'ai vu mon rival soumettre mes guerriers et corrompre mes amis. J'essayais de leur faire entendre raison et les exhortais à la rébellion mais nul ne semblait remarquer ma présence. Tous se désintéressaient de mes propos. Ce n'est que lorsque je vis que l'on ensevelissait un corps dans la tombe qui m'était destinée que j'ai réalisé que j'étais mort. Depuis, ma colère est toujours entière et je hante ce lieu sans m'en éloigner puisque c'est tout ce qui me reste. Mais ici j'ignore ce qu'il est advenu de mon cousin et de ma descendance. J'ai parfois vu des gens s'approcher de mon tombeau et les ai fait fuir, mourant de peur.

- Pourquoi vouloir rester encore ?

- C'est mon vœu pour l'éternité.

- La mort n'est pas une punition, c'est l'accès à la libération. Vous vous enfermez dans la haine et vous créez vous-même votre geôle sous l'empire de vos passions. Vous êtes devenu un fantôme misérable qui se maintient par le désir de vengeance. Est-ce que cela est digne d'un chef ? Si vous étiez dans votre droit, vous devriez revenir et permettre que la justice divine s'accomplisse.

- Les dieux m'ont trahi eux aussi.

- Jamais les dieux ne nous abandonnent si nous choisissons la voie juste. La mort vous a dépouillé de tout sauf de votre essence. Acceptez cette métamorphose vous n'êtes plus celui de jadis. Vous allez devenir l'être nouveau à qui les dieux restitueront ce qui lui a été dérobé.

- Tu parles comme les prêtres mais je n'ai pas voulu les écouter. Ils ne comprennent rien à l'honneur d'un chef et aux nécessités de la guerre.

- Pour moi aussi l'honorabilité est incompatible avec la violence.

- Si je renais, mes biens me seront donc restitués.

- Oui mais les conditions auront changé, cela peut se traduire dans des circonstances qui pour l'instant vous paraîtraient inconcevables. Vous pourrez même revenir en ne souhaitant rien posséder du tout, détaché de la dépendance à la matière et ce sera votre meilleure récompense.

- Je dois réfléchir à tout ce que tu me dis. Toi-même n'est peut-être pas réel.

- Si je n'existe pas alors c'est votre conscience qui parle et qui vous montre une possibilité de changement. C'est vous-même qui vous attribuez une chance. Saisissez cette opportunité. Que craignez-vous de faire cesser cette errance ? Vous pouvez, soit accéder au repos soit vous donner la possibilité de revenir. Qui d'autre que vous-même gagnerait à vous faire changer d'état ?

- Toi !

- Quel intérêt pour moi ? Demain je serais parti. Je ne suis que l'instrument du destin.

- Alors si tu crois aux dieux qui t'ont mené jusqu'ici, prie pour moi. Implore leur clémence et leur justice et demande-leur de te les accorder aussi à toi-même pour prix de ma gratitude. Redis-moi ton nom afin que je ne t'oublie pas.

- Robin, dit le pèlerin. Et vous ?

- J'étais Erwein, répond-il, notifiant ainsi qu'il accepte sa transmigration. Vas au fond du dolmen, creuse un peu le sol, sous la croûte tu trouveras une corne gravée. C'est moi qui l'aie façonnée dans ma jeunesse. Prends-la, si un jour tu te trouves en danger tu pourras appeler de l'aide. Reste ici jusqu'au matin, tu seras en sécurité.

Le silence se fait dans la tête du pèlerin, la présence de la pensée étrangère s'est retirée. Robin rentre dans son abri de fortune et se met en prière pour accompagner Erwein dans son choix. Au matin, le jeune homme suit les instructions de l'ex-chef et trouve rapidement l'objet indiqué ainsi que quelques autres. Une hache de pierre, des bagues en métal, une flûte en os. Il prend la corne et recouvre soigneusement le reste. Puis après un dernier adieu, il sort du sépulcre et reprend sa route.

 


   La forêt est enchanteresse et, de temps à autres, Robin s'arrête pour contempler un vieil arbre énorme qui s'étale noblement, préservant de son ample ramure, un endroit particulier. Il traverse des landes fleuries où se dressent curieusement des pierres qu'il compare à celles du cromlech.

- Ce sont probablement des lieux de culte, se dit le pèlerin.

Ce pays paraît chargé des mêmes vibrations que celui où il a rencontré le druide. Une rumeur à peine audible sourd de la terre et investit chaque particule de l'atmosphère. En fin de journée, il suit un petit cours d'eau et le remonte jusqu'à une fontaine.

- Je vais remplir ma gourde ici, décide-t-il.

Il dépose ses bagages et s'agenouille près du bassin aménagé. Il boit et se rafraîchit la nuque. Le ciel s'est dégagé, suite à l'averse de la veille, et le soleil a fait monter la température. Il se penche à nouveau vers l'eau et soudain fige son geste. Le reflet n'est pas celui qu'il a l'habitude de voir, ce n'est pas le sien. Il tend la main vers cette image qui se brouille dès qu'il effleure l'onde.

Robin se recule surpris. Y aurait-il au fond de l'eau un être qui voudrait l'entraîner dans l'abîme ? Il se redresse puis il se remémore un incident comparable à celui-ci. Il avait eu une vision semblable à l'auberge, au début de cette aventure. Dans le bol de soupe qu'il buvait, il avait vu le visage d'un homme âgé qui ressemblait à son père. Était-ce un signe qu'à cet instant celui-ci pensait à lui ? Le jeune homme n'avait jamais cru que le père éprouvait des sentiments pour lui, sauf quand il en avait besoin dans les écuries. Cette apparition était mystérieuse. Ce bassin était peut-être une porte et il valait mieux ne pas s'y plonger de peur de repartir d'une manière indésirable ou de faire sortir un être démoniaque de sa prison liquide.

Assis près de la fontaine, Robin se restaure et regarde, amusé, un rouge gorge qui s'approche de lui, de plus en plus près.

- Curieux, pense-t-il. Cet oiseau agit comme s'il était apprivoisé. En tout cas il n'est pas peureux.

- As-tu faim ? s'enquiert-il en lui lançant quelques miettes de pain.

Le rouge gorge volette, se rapprochant encore et picore avec appétit.

- Comme j'aimerais entendre le langage des oiseaux ! soupire Robin. Si Florial était là, il m'aurait servi d'interprète. Et toi, l'oiseau, voudrais-tu être mon ami ?

Le volatile se perche sur le sac puis s'envole vers une branche basse. Il se pose, incline la tête puis revient sur le sac. Il effectue plusieurs fois son manège puis le jeune homme saisit soudain que cette démonstration doit signifier quelque chose.

- C'est une invitation à le suivre, suppose-t-il. Allez ! Montre-moi le chemin, déclare-t-il en se levant.

 

L'oiseau prend son envol et part en remontant le terrain. Robin le suit en veillant à ne pas le perdre de vue. Le rouge gorge l'attend et le guide à travers le bois où des affleurements de rochers émergent ça et là. Il le mène jusqu'à un dolmen qui ressemble au tombeau d'Erwein. Celui-ci est beaucoup plus vaste. L'appareillage est composé de plusieurs dalles posées sur des rocs qui se recouvrent de mousse au fil des ans.

- Le personnage honoré par un tel monument devait être important, imagine Robin.

L'oiseau s'est juché sur le faîte de l'édifice et paraît convier le pèlerin à s'arrêter. Ce dernier s'assoit tandis que l'ombre crépusculaire commence à assombrir l'environnement. Le jeune homme regarde autour de lui puis revenant vers la sépulture, il ne voit plus le rouge gorge. Le guide a fini son office et a disparu, sollicité par une autre occupation. Alors, de derrière le dolmen, les sons d'une harpe s'égrènent dans le soir paisible, embaumé du parfum des fleurs sauvages. Une chanson aux accents nostalgiques accompagne la musique qui coule un flot cristallin. Quel charme dégage cette mélopée prenante, interprétée par un compositeur de génie ! Robin reconnaît le chant qu'avait entonné Florial la veille de leur séparation.

 

Le pèlerin se lève, curieux de rencontrer le musicien et contourne la masse rocheuse. Un homme, vêtu d'une ample robe couleur du ciel de nuit, le regarde venir à lui sans s'interrompre. Robin s'arrête à distance respectueuse, admiratif et bouleversé par la beauté du concert. La ballade se termine et il n'ose troubler le silence dans lequel vibrent encore les derniers accords.

- Bonjour Robin, fait le musicien, posant près de lui l'instrument qui luit doucement dans la pénombre.

- Bonjour, hésite-t-il surpris par cet accueil.

- Mon nom est Merlin, se présente l'homme. As-tu entendu parler de moi ?

- Merlin ! répète Robin. J'ai entendu quelques légendes racontées par un ami.

- Eh bien ! Tu peux constater que je ne suis pas une légende. Je sais le nom de tous ceux qui pénètrent dans ce pays, pour répondre à la question que tu te poses. Ce que j'ai perçu de ton aura m'a incité à apparaître.

- Merci, prononce Robin à qui Florial avait enseigné ce qu'est une aura.

Merlin, qui doit être chargé d'ans sinon de siècles, présente un visage étonnamment juvénile et ses yeux vifs se plissent dans une expression joyeuse, relevée de malice. Il porte de longs cheveux blancs que la lune qui se lève nimbe d'une lueur irréelle.

- Est-ce votre tombeau ? demande Robin, fort de sa première expérience auprès d'une telle architecture.

Merlin éclate d'un rire clair.

- C'est ce que les gens croient, persuadés que je suis mort, prisonnier de Viviane. Je suis immortel et libre de m'enchaîner par l'amour pour l'éternité. Mais parlons de toi. Tu possèdes pour ton âge de grandes qualités et de la sagesse. Tu as libéré Erwein. Savais-tu qu'il est devenu ton ami Gautier ? Tu as sauvé cet homme par deux fois. Hommage doit t'être rendu pour tes actions !

- Gautier avait été Erwein, comprend le pèlerin. En demandant d'arriver sur sa terre, j'ai pénétré exactement sur celle qui lui a été consacrée. Mes mérites consistent à avoir suivi mon intuition. Celle-ci est certainement guidée par des êtres supérieurs ou par l'esprit de mon ami. Je n'ai été qu'un instrument de Dieu, continue-t-il modestement, et, s'il souhaite encore me confier quelque mission, je l'exécuterai avec bonheur et fierté.

- Tu as su entendre et aller jusqu'au bout. Quel parcours as-tu suivi, pèlerin ! Quelle progression depuis ton départ ! Tu vas recevoir une récompense. En tant que devin je vais te faire une prédiction :

Tu vas rencontrer bientôt l'être pour qui tu as accompli tout ce chemin. Par contre, il te faudra être vigilant. Des âmes mauvaises peuvent concevoir de la jalousie par rapport à ta destinée exceptionnelle. Certaines sont puissantes. Sache te préserver. Quelques aspects de ta vie sont semblables aux miens. Sois fort et crois en toi-même.

- Je ne connais pas tout de votre vie.

- Au moment où cela se produira, tu le sauras. Tu es venu te désaltérer à ma source. C'est la Fontaine de Jouvence. L'eau que tu as puisée dans ta gourde accorde à celui ou celle qui la boit, la jeunesse. Il suffit d'en absorber une petite gorgée par jour pour se préserver des outrages du temps. Ne l'utilise pas d'un seul coup. L'effet n'en serait pas accru. Elle ne s'altère pas et tu peux la conserver aussi longtemps que tu le souhaites. Commence à la boire dès que tu l'estimeras nécessaire. Vu ton âge, tu n'en auras pas besoin tout de suite.

- L'eau semble conduire ma vie, remarque Robin. À chacun des événements remarquables je l'approche quelle que soit sa manifestation : neige, pluie, mer, résurgence, source, fleuve, fontaine...

- C'est très bien d'avoir compris cela. Ne t'en éloigne jamais.

- Elle n'a pas toujours été clémente.

- C'est exact, mais c'est ton élément. Tu lui es assujetti. Avant de repartir de cette région, va jusqu'à la Fontaine de Barenton, c'est là que j'ai rencontré Viviane. Aie une pensée pour nous, c'est un gage de bonheur éternel.

- Merci maître, dit Robin en mesurant la chance qu'il a de rencontrer des êtres d'exception, aux âmes de génie, qui le prennent sous leur protection. Puis-je ne jamais démériter !

- Adieu Robin, le salue Merlin. Pense à moi et je t'accorderais mon aide. Il part dans une flamboyance circulaire constellée d'étoiles et se volatilise dans une fulgurance étincelante.

 

Seul un petit rouge gorge reste à l'endroit où Merlin a disparu. Il agite ses ailes avec grâce et énergie et s'envole vers la forêt qui l'absorbe dans son ombre bruissante. Robin comprend alors qu'il a rencontré le prince des métamorphoses et sourit, amusé par l'humble aspect que l'enchanteur a utilisé pour établir le contact.

Le jeune homme s'assoit au pied d'un arbre et lève son visage vers le dais nocturne qui recouvre somptueusement la forêt enchantée. Il se sent en harmonie avec ce pays comme si une partie de lui-même provenait d'ici. Depuis qu'il a vu Merlin il cherche dans sa mémoire en quelles circonstances il l'a rencontré.

Aurait-il déjà fréquenté le magicien ? A-t-il été son élève ? Des scènes de période troublée et de bataille passent dans des stases mémorielles fugitives. Peu à peu il s'endort glissant du souvenir au rêve.