QUATRIÈME ÉPISODE

   Enfin une douce température et un chemin nettement tracé, cela les changeait du climat torride. Pourtant ce n'était pas non plus le froid hivernal de leur région, ils n'étaient donc pas rentrés chez eux. Ils stoppèrent net après quelques pas, cette constatation venait de les surprendre une fois de plus.

   - Où sommes-nous encore arrivés ? s'inquiète Robin, je croyais revenir sur le chemin derrière l'auberge.

   - Peut-être qu'il n'existe que pour les voyageurs ordinaires, explique Florial.

   - Parce que nous ne sommes pas ordinaires ? s'étonne le pèlerin.

   - À ton avis ? reprend le gnome sans attendre de réponse.

  - Si l'on en croit l'aventure de ces derniers jours, évidemment, conclut le jeune homme résigné. D'où sortons-nous cette fois ? Ça alors, il n'y a pas de porte, s'exclame-t-il en se retournant.

   - Ah ! Ça se complique, marmonne Florial. Combien as-tu fait de pas sur ce chemin avant de t'arrêter ? Six, sept tout au plus. Essaye de retourner en arrière lentement, un pas après l'autre.

Robin s'exécute en comptant jusqu'à cinq puis continue en hésitant, le sixième, le septième.

   -  Hé ! crie-t-il. Dès que j'arrive dans l'ombre de ces grands arbres, je me sens aspiré.

   - Reviens, lui enjoint le gnome, ne va pas te retrouver encore ailleurs. Ici, c'est l'ombre qui crée un vortex, c'est moins repérable. Le ciel est nuageux et peut soudain masquer la limite des zones. Repérons quand même cet endroit précis, si nous avons à y revenir.

   - Nous serons peut-être à nouveau là demain, suggère Robin.

   - Les conséquences ne sont pas toujours identiques et si l'on peut se fier aux éléments, cette atmosphère plus clémente peut présager une période agréable.

   - Est-ce une affirmation ou une supposition ? doute le garçon.

   - De toutes façons nous le saurons bien assez tôt. Es-tu prêt ?

   - Écoute, on entend des oiseaux chanter. Allez, c'est un bon présage. En route.

 

   Et voilà les deux amis qui repartent au rythme du pas décidé de Robin. Il est totalement rétabli et allégé d'un poids qu'il ressent physiquement. Le chemin serpente au départ entre des arbres clairsemés et des buissons au petit feuillage vert tendre, puis il traverse des étendues herbeuses et fleuries. Dans les bas-côtés des insectes crissent et parfois un froissement furtif indique la présence de petits animaux fuyant l'arrivée de l'homme. Ils avancent ainsi deux jours dans cette belle campagne. 

 

   Au milieu de la matinée du troisième jour :

   - Regarde ! s'écrie tout à coup Florial du haut de son perchoir. 

   À leur droite, un espace est dégagé avec en son centre les restes d'un foyer.

   - Nous ne sommes pas seuls, apprécie l'humain.

   - Méfions nous, conseille le gnome. La solitude est préférable aux mauvaises rencontres.

   Ils s'approchent des cendres et constatent que le feu a été soigneusement éteint et recouvert par une personne prudente.

   - Faisons une halte, décide le pèlerin. J'ai repéré des fraises, je vais en cueillir quelques-unes.

   Florial est toujours à l'affût d'accroître ses connaissances en botanique et pour lui cette aventure est une aubaine pour découvrir ou repérer des plantes. Il prélève des graines, du pollen, des échantillons, son sac qui ne paraît pas augmenter de volume se charge cependant de plus en plus. Méticuleux il classe, range et étiquette ses trouvailles avec le plus grand soin. Il vaque à travers les herbes, s'agenouille pour mieux voir sa récolte quand, il a l'impression que le soleil se voile et même qu'il fait soudain très sombre. À peine lève-t-il la tête que celle-ci lui paraît exploser.

 

   Robin revient guilleret avec des fraises et d'autres baies cueillies dans les buissons. Auprès du foyer éteint, son sac est  toujours là mais il ne voit pas le gnome. Sachant son intérêt pour la nature il suppose que celui-ci est en train d'enrichir sa collection. Ravi que tout se passe bien, il s'assoit et commence à manger, puis il appelle son ami.

   -  Ohé ! Florial, n'as-tu pas faim ? J'ai cueilli des baies délicieuses et déniché deux œufs.

   Il en gobe un, puis se demande si les gnomes avalent ce genre de nourriture. Il préfère attendre que son ami revienne pour le lui demander.

   - Tu trouves des choses intéressantes ? interroge-t-il en élevant la voix.

   Il s'étonne quand même du mutisme du gnome. Il ne peut être allé loin et il est sûr que celui-ci ne l'a pas abandonné. Il doit forcément l'entendre, alors pourquoi ne répond-il pas ? Il doit être très affairé, pense-t-il. Intrigué, il se lève pour chercher du regard aux alentours. Il fait quelques pas pour trouver des traces qui indiqueraient l'itinéraire suivi par son ami, mais les petites gens ne dérangent pas la nature où qu'ils passent.

   - Florial ! appelle fortement le jeune homme inquiet.

 

   Il se met alors à fouiller méthodiquement l'endroit en faisant des allers et retours le long de l'espace découvert et en s'éloignant peu à peu du chemin. Il marche précautionneusement de peur de ne pas voir son ami dans les hautes herbes. C'est grâce à la couleur du bonnet que Robin le repère. À peine à cinq mètres du chemin, il découvre le gnome gisant face contre le sol.

   - Florial ! crie le garçon, ignorant qu'un gnome puisse être blessé ou pire...

   Il le retourne très délicatement et se rend compte qu'il n'a aucune idée de ce qu'est le corps d'un gnome. A-t-il un cœur ? se demande-t-il en posant un doigt tremblant sur sa poitrine. Il ne sent rien et s'affole. Il ôte le bonnet et voit une plaie sanglante dans le cuir chevelu. Apparemment il a du sang, son corps ressemble donc à celui d'un humain.

   - Florial, Florial ! appelle-t-il encore mais le gnome reste inerte.

   Robin est atterré, il ramasse son ami avec tendresse ainsi que ses quelques affaires éparpillées autour. Il le ramène vers son propre sac et il l'installe confortablement dans un vêtement à lui. Il nettoie la plaie qui n'est pas profonde mais le coup a dû être rude. Dans le sac du gnome il trouve le pot de crème qui lui a soigné ses blessures et l'applique délicatement en reproduisant les gestes qu'il a appris. Malgré la légèreté avec laquelle il intervient, un gémissement s'échappe des lèvres du gnome. Robin l'entend avec joie, son ami n'est pas mort.

   Qui a bien pu attaquer le gnome ? s'interroge Robin. Je n'ai vu personne. Hormis les restes du feu qui date de quelques jours, rien n'indique une présence humaine. Aucun arbre ne peut offrir de cachette et je ne distingue nulle autre possibilité pour dissimuler qui que ce soit dans ce périmètre. J'étais là tout près, s'il y avait eu quelqu'un je l'aurais vu inévitablement ou entendu. Je crains que cette agression ne soit due à un être mystérieux, finit-il par se dire en frissonnant. Puis une idée lui vient : et si j'appelais Mélilot au secours...

- Mélilot, Mélilot ! crie-t-il.

   L'ancien ne se montre pas.

   C'est vrai qu'il a pris sa retraite, se souvient le garçon. Peut-être aussi que seule une créature du petit peuple peut appeler un de ses semblables. Que dois-je faire ?

Robin est ému de voir ce petit être qu'il croyait invincible et qui avait su s'occuper si bien de lui dans un état auquel il ne peut remédier.

   - Dois-je allumer du feu ? Les nuits sont moins fraîches ici. Est-ce que cela peut attirer le monstre qui rôde ou au contraire le tenir éloigné ? Florial a l'habitude d'en allumer un tous les soirs, je vais l'imiter.

Il accomplit sa tâche et s'allonge près de son ami pour le protéger quoi qu'il advienne.

   - Florial, murmure le jeune homme, je ne possède pas ta science pour te soigner. Je vais faire ce que je peux. Quand j'étais enfant mon grand-père, qui souffrait de violentes migraines, posait mes mains sur son front et disait que cela le soulageait. Je ne sais pas si ça peut être efficace pour toi mais je vais essayer.

 

   Robin étend ses mains juste au-dessus du gnome, une seule aurait suffi mais ainsi il le place sous une gangue protectrice. Il le veille presque toute la nuit et s'endort sur le matin alors que les oiseaux recommencent à chanter. Une abeille sans-gêne vient bourdonner tout près de son oreille gauche et le réveille brusquement. Il se redresse d'un bond et cligne des yeux car le soleil est déjà haut. Sa première pensée est pour le gnome et il regarde aussitôt vers lui. Celui-ci n'a pas bougé mais on peut voir qu'il respire à l'imperceptible agitation des poils de sa moustache. Le jeune homme tente une nouvelle fois de réveiller Florial en prononçant son nom mais le petit être ne bouge toujours pas.

   - Inutile de rester ici, c'est dangereux, il faudrait que je trouve du secours, pense Robin.

 

   Après avoir ramassé leurs bagages, il place sur sa main gauche le gnome avec d'infinies précautions, saisit son bâton de la main droite et il repart sur le chemin. Le paysage est très beau, cette campagne possède un charme paisible et, mis à part le malheureux événement, le pèlerin ressent une douceur de vivre, une paix qu'il a rarement connues. Le poids de son ami est celui d'une plume, par contre la position figée du bras lui amène des fourmillements. Il doit chercher une solution de transport confortable pour le blessé comme pour lui-même. Arrivé près d'un bois, il dépose Florial sur un tapis de mousse et ramasse quelques brindilles bien droites. Il fabrique une sorte de petite litière qu'il attache autour de son cou avec le lien qui a maintenu la crapaudine sur sa cheville. Il place l'objet parallèle à sa poitrine de manière à garder un oeil sur le gnome. Il attache au-dessus un petit carré de tissu de manière à l'abriter du soleil. S'arrêtant juste pour cueillir des fruits et remplir sa gourde au cours d'eau, Robin marche d'un bon pas ressemblant plus que jamais à un pèlerin.

 

     En fin de journée, Robin s'étonne d'être arrivé une fois encore dans un pays inhabité et désespère de trouver du secours. Florial est toujours inconscient. Robin en prend grand soin, l'humecte de temps à autre et essaie de lui glisser une ou deux gouttes d'eau entre ses lèvres sèches. Une rumeur à peine audible commence à poindre loin devant. Peut-être une voix humaine. Cela fait tressaillir le jeune homme qui aussitôt s'élance dans sa direction. Il avance assez rapidement pour distinguer maintenant une sorte de chant émis par une seule voix puis repris par un chœur qui lui rappelle les moines de sa région. Ils vont peut-être pouvoir se faire héberger dans un monastère, anticipe-t-il. Il commence à voir de dos des silhouettes vêtues de blanc, des hommes et des femmes qui vont à pas lents, en file comme lors d'une procession. Robin a envie de courir près d'eux, il y a presque quinze jours qu'il n'a pas rencontré d'humains. Il se ravise en regardant son ami. Que penseraient ces gens de son compagnon s'ils le voyaient ? Et comment  prendraient-ils son intrusion ? Quelles seraient les conséquences ? Ils accomplissent peut-être un rituel dont tout profane doit être exclu. Le jeune homme décide de les suivre à distance. Ils vont bien le mener à un village ou à une habitation. Leur cérémonie prendra fin et à ce moment-là il trouvera le moyen d'aborder l'un d'entre eux. Cependant le groupe progresse toujours vers son but et Robin, après cette journée de marche, s'arrêterait bien.

 

   Au milieu de la lande, sur la gauche, il distingue un étrange rocher, un bloc de pierre dressé vers le ciel. 

   - Curieux, pense-t-il, c'est la première fois que je vois ça. Est-ce naturel ?

   En avançant il aperçoit une autre pierre, puis encore une.

   - Non, se dit-il, ce n'est pas le fait de la nature. Ces rochers ont été placés ici, mais comment ? Ces énormes blocs doivent peser des tonnes, aucun bras humain ne peut les porter. Encore une surprenante bizarrerie fantastique.

   Plus d'une dizaine de blocs émergent dans le paysage. La procession a quitté le chemin et suit ce parcours tracé par les jalons gigantesques.

 

   Le soir vient, la lumière a baissé d'intensité et le crépuscule teinte l'environnement de cette atmosphère si particulière, d'une pénombre magique. Le groupe traverse une haie de peupliers et Robin se hâte de peur de les voir disparaître. On ne sait jamais et il apprend à être vigilant. Il passe à son tour entre les troncs élancés et s'arrête pour mieux voir ce qui apparaît devant lui. Dans l'étendue qui s'étale jusqu'à une falaise pâle, un étrange cercle de pierre dessine une couronne fantomatique. À cette luminosité, le contraste des couleurs s'accentue et la pierre ressort blafarde sur le paysage assombri. Les processionnaires glissent vers le monument, empreints d'une solennité à présent muette. 

   Robin fatigué s'assied contre un des grands blocs et s'occupe de Florial avant de s'intéresser à lui-même. Le gnome n'a toujours pas repris conscience mais son état n'a pas empiré. La blessure est insignifiante par rapport au choc. Le bonnet et l'épaisse chevelure ont amorti le coup. Ce qui inquiète le jeune homme c'est cet évanouissement prolongé car il se sent impuissant à résoudre le problème. Sans faire le moindre bruit, il installe la litière miniature et son occupant près de lui et avale un peu de nourriture pour reprendre des forces. 

   Au milieu du cercle, les gens pratiquent un rituel, vont et viennent, choisissent certains emplacements, lèvent les bras vers le ciel, observent les étoiles qui s'allument une à une et psalmodient des phrases incompréhensibles dans une langue belle qui résonne étrangement. La cérémonie s'éternise et Robin s'endort avant d'en voir la fin.

 

   Le froid le réveille en pleine nuit. Il est à nouveau seul avec son compagnon. Il n'a pas saisi l'opportunité de quérir de l'aide et il se met en colère contre lui-même. Depuis combien de temps les gens sont-ils partis, s'il se dépêche pourra-t-il les rattraper ? Il se lève et court, traverse la haie d'arbres mais, malgré la vue dégagée sur plusieurs kilomètres, il ne distingue aucune silhouette blanche dans la nuit claire. Puis brusquement affolé d'avoir laissé le gnome à nouveau seul, il revient à toute vitesse pour le rejoindre. Florial est toujours là et rien n'a bougé. Le jeune homme déçu et furieux réfléchit. Peut-être qu'en approchant de la falaise il peut trouver un abri.

   Après avoir récupéré ses affaires et replacé la litière, il avance à travers l'enceinte sacrée. 

 

   Au centre une chaleur et une puissance magnétique le pénètrent et il s'immobilise envahi par cette sensation prégnante. Une colonne d'énergie l'entoure, un rayon entre par le sommet de son crâne et se répand en lui, inoculant dans son esprit, son âme et son corps, la lumière.

   Robin et Florial, inondés de clarté, étaient prêts à recevoir cette lumière. Tous ceux qui pénétraient dans l'enceinte n'obtenaient pas cette faveur. Cette étape grandiose révélait une facette de leur talent et leur en donnait l'accès. Le pèlerin, quoi que surpris, n'est pas effrayé par cet événement. Il lève son visage vers le ciel. Bien que cette lumière ne soit pas aveuglante il ne peut en distinguer la source. La transformation qui s'opère en lui n'est pas immédiatement compréhensible cependant le jeune homme ressent une circulation accélérée du flux vital. Lorsque la lueur s'éteint, il tombe à genoux, non pas de faiblesse, non pas d'abattement mais d'humilité et de recueillement. Il a l'intuition d'avoir reçu une investiture et d'avoir été confronté à une force supérieure. Le rythme corporel s'étant apaisé, il se relève et lentement contemple d'un regard circulaire les sentinelles rocheuses qui l'entourent. Leur majesté sereine confère au site une grandeur et une capacité protectrice. Il reprend enfin sa recherche d'un lieu plus abrité et découvre aussitôt face à lui une ouverture naturelle dans la paroi de la falaise. La force qu'il a captée lui donne de l'assurance et il pénètre hardiment en estimant qu'aucune créature mauvaise ne puisse hanter la grotte.

 

   À l'intérieur l'obscurité l'empêche d'en distinguer la configuration. Il dépose gravement son léger fardeau puis étend son manteau sur le sol. Il place ses mains au-dessus de son ami et quand il lui envoie son énergie salvatrice, il constate qu'elles émettent un rayonnement nouveau. Peu après il sombre dans le sommeil avec l'inégalable faculté d'endormissement de la jeunesse.

 

   Florial, lui, est au contraire totalement éveillé. Le rayon de lumière l'a tiré de l'état comateux dans lequel il était plongé. Il a senti le frémissement de la puissance qui les a pénétrés et la palpitation des cellules n'est pas encore apaisée. Il revient lentement à la pleine possession de ses facultés. L'ombre de la grotte est dense et le corps de Robin fait un rempart à la pâle clarté de l'extérieur. Le gnome se redresse, tâte son crâne à l'endroit où le coup a été porté. C'est encore douloureux et gonflé. Par contre la plaie est déjà refermée grâce à l'action cicatrisante de la pommade. Florial s'interroge sur son agresseur. Il n'a rien vu, rien entendu et il n'a pas su anticiper l'attaque. Venait-elle d'un autre monde ? Était-ce l'œuvre d'une créature invisible ? 

   Sa pensée est étrangement lucide après le choc et l'évanouissement qui a suivi. Puis une image se forme dans son esprit, puis une autre. Il imagine un lien entre elles. Il voit une plante, la plante lui révèle tout d'elle-même : sa structure, sa composition chimique, ses propriétés, ses vertus, son utilité. Il en voit une deuxième qui se livre elle aussi puis une troisième et ainsi de suite. Elles apparaissent par espèce, par famille. Elles lui racontent tout et plus encore. Leurs interactions entre elles, leurs combinaisons et leurs applications, leurs variétés, leurs moyens de reproduction, leurs lieux de pousse, leurs périodes et leurs durées d'existence. Et tout se classe, se range, se grave indélébilement dans sa mémoire. Les plantes inconnues lui disent leur nom. Le gnome devient une véritable encyclopédie de botanique, d'herboristerie, d'aromathérapie, de parfumerie. Toute la nuit son crâne est largement ouvert et laisse pénétrer un flot ininterrompu de connaissances. Ce savoir est gigantesque et s'installe définitivement dans son cerveau. Il lui donne simultanément la capacité illimitée d'utilisation.

 

   Au matin lorsque le soleil pénètre dans la grotte, Robin se réveille enfin. Le gnome s'est placé de manière à ce que le jeune homme le voit dès qu'il ouvre les yeux.

   - Florial ! s'écrie le garçon. Florial, répète-t-il la voix éraillée par l'émotion. 

Le gnome se jette contre une joue de Robin et sent une larme qui lui trempe une main. Le jeune homme le serre délicatement contre son visage puis s'éloigne pour regarder son ami qu'il a eu peur de perdre.

   - La lumière t'a sauvé, dit-il. Comment vas-tu ?

   - Je me sens en pleine forme. La lumière m'a donné la force de me réveiller mais c'est toi qui m'as guéri, affirme Florial.

   - Je me suis occupé de toi comme tu m'avais montré et j'ai utilisé ta pommade, assure Robin.

  - Tu n'as pas fait que cela, ajoute le gnome. Tu possèdes le pouvoir de guérison. J'ai senti dans ma léthargie la chaleur et le magnétisme que tu m'as transmis. Tu as ce don et surtout tu as su l'utiliser avec compassion et persévérance, ingéniosité et amour, c'est tout cela qui amplifie et détermine la compétence.

   - Oui, réfléchit Robin, surtout pour lui-même. Je pensais à ce moment là être capable de t'aider comme me l'affirmait mon grand-père. Je ne savais pas si c'était vraiment possible car je ne l'avais jamais essayé volontairement sur qui que ce soit d'autre. Ainsi, tu dis que tu m'as senti...

   - Exactement, enchaîne Florial. Même à travers les brumes dans lesquelles j'étais prisonnier, j'ai su que tu agissais bénéfiquement.

   Il s'interrompt songeur puis reprend :

   - C'est curieux. Maintenant que j'analyse la situation, je crois que mon agresseur n'a pas voulu me faire du mal mais plutôt me plonger dans cette catalepsie prolongée. Le coup n'était pas si rude et ne m'a blessé que superficiellement. C'était juste le déclencheur qui devait me mettre dans un état de dépendance et de besoin. J'aurais dû voir venir l'attaque et ça n'a pas été le cas. Cet acte mystérieux que moi, un gnome, je n'ai pu déceler me donne la certitude que la cause est subtile. Je crois qu'en fait c'était encore pour t'éprouver toi et t'aider à découvrir le don. 

   - Un don ! s'étonne le pèlerin. Comme le rebouteux du village ?

   - C'est à peu près ça.

   - Je n'ai pas l'intention de m'installer comme guérisseur.

   - Tu peux utiliser ce don en toutes circonstances et surtout pour toi-même.

  - Je croyais que ce n'était efficace que sur les autres. En tout cas c'est ce que déclare le rebouteux quand on le raille sur sa santé fragile.

   - Un bon guérisseur doit apprendre sur lui pour vérifier son efficacité. La plupart du temps il ne prend pas la peine de s'occuper de lui-même. Cela va dans le sens littéral du don, de s'occuper d'abord d'autrui. Ce principe est tout à fait respectable mais si on désire aider les autres, il est judicieux de se maintenir capable de le faire.

  - En dehors du réconfort que je peux amener aux autres, et cela je l'accepte totalement et j'en suis même honoré, pourquoi moi, ai-je reçu ce don ?

 - L'expérience que tu as vécue précédemment a montré que nos actes anciens déterminent les événements présents et que nous devons en assimiler les tenants et les aboutissants. Peut-être as-tu appris à développer cette faculté dans une existence antérieure et celle-ci s'exprime à nouveau.

   - Donc, c'est parce que c'est déjà un acquis. Cette explication me rassure car l'autre vie retrouvée me paraît nettement plus mauvaise et je n'en suis pas très fier.

    - Les humains ne sont pas parfaits, les gnomes non plus, rassure-toi, et nos vies se succèdent afin que nous parvenions à la sagesse. Parfois, hélas ! nous tombons dans les pièges de l'ignorance et de la passion. Cela dit sans vouloir te décevoir, il y a une seconde hypothèse : le pouvoir de guérison fait partie du bagage inhérent aux êtres humains et aux créatures des mondes supérieurs. Tu l'as utilisé naturellement, avec foi, donc il a resurgi grâce à cette sollicitation. 

    - Tu veux dire que si l'on n'y croit pas, il est inopérant...

  - Oui. L'intime conviction ou la connaissance sont indispensables à l'efficacité d'un acte. La compréhension doit en être claire et résolue. Cela ne veut pas dire que l'on doit être supérieurement intelligent. Des êtres simples pratiquent sans se poser de questions car quelque part dans leur âme, ils savent.

   - Je te fais parler alors que tu sors à peine des limbes, s'inquiète Robin. Excuse-moi. Veux-tu manger, boire ?

   - Je me sens très bien, dit Florial avec un sourire. J'ai très faim et soif aussi.

 

   Robin lui donne sa gourde qu'il avait veillé à garder pleine et il fouille dans le sac. Il en sort quelques graines qui suffisent largement à rassasier le gnome. Le jeune homme croque avidement dans une pomme. Tout en mangeant, ils examinent les lieux. À cette heure-ci, le soleil pénètre par l'ouverture et éclaire profondément la grotte. Ses dimensions, environ cinq mètres par huit, sont réduites. Vers le fond un couloir s'enfonce dans le noir. Sur les murs des traits sont gravés dans la paroi.

   - Peux-tu me soulever pour que j'inspecte ces dessins ? demande Florial dont la curiosité est piquée.

   - Tu as l'œil plus perçant que le mien, considère Robin en accédant à la requête du petit élémental.

   - Ooooh ! Ce sont des motifs celtes, annonce Florial, en suivant avec les doigts les contours de cercles et de spirales.

   - Celtes ? interroge Robin qui entend ce terme pour la première fois.

   - C'est le nom d'un peuple qui vivait il y a quelques siècles.

   - Aurions-nous remonté le temps ?

  - Possible. Cependant actuellement des gens revendiquent cette appartenance culturelle et ses traditions.

   - Il faudrait que je t'explique ce qui s'est passé depuis ton évanouissement, décide Robin. Mais sortons de cette caverne et tu comprendras peut-être mieux où nous sommes.