DIXIÈME ÉPISODE


   

   le lendemain, une belle journée s'annonce par l'éclat céruléen du ciel limpide. Comme le premier jour, des voix se font entendre, des murmures, des conversations chuchotées, des bribes de chansons, quelques strophes de poèmes et, le tout mélangé, mis en surimpression, décalé, syncopé. Si Robin avait connu la radio, il aurait crû rechercher sur la bande FM, la station qui lui convenait en actionnant une mollette d'un geste continu. Des images se découpant dans le paysage, apparaissent sans qu'une seule se fixe, comme si ces lieux gardaient tous les événements en mémoire et les restituent sans ordre et sans logique. Un film s'inscrit dans un autre, fragmentant son déroulement, s'imbriquant tels les fils de trame et de chaîne d'un tissu, pour en façonner un troisième. Ces aberrations visuelles et auditives commencent à donner la migraine et le vertige au pèlerin qui se met à marcher en fermant les yeux, les mains plaquées sur les oreilles.

Ce geste est inutile car un hurlement passant outre ce barrage dérisoire le fait sursauter. Il se précipite vers l'origine du cri qui provient de sa droite, se frayant un passage à l'aide de son bâton pour écarter les ronces et les branches qui le ralentissent. Emporté par son élan, il manque de s'étaler sur une masse blanche, affalée en travers de son chemin. Rattrapant son équilibre au dernier moment, il parvient à dévier sa trajectoire pour s'effondrer à son tour sur le côté de l'obstacle. Bougonnant de se retrouver encore une fois à terre, le visage aplati dans les feuilles, le pèlerin se relève en appréciant la mousse qui a amorti le contact du sol. Il examine la cause de sa chute.

 

Un cheval est à terre, secoué de spasmes. Un cheval, pas exactement, plutôt une jument, apparemment pleine, prête à mettre bas. Et l'événement ne donne pas l'impression de se dérouler au mieux. La pauvre bête tente de se remettre debout mais elle retombe, poussant des plaintes lugubres. Robin connaît les chevaux, il a déjà aidé le père à délivrer certaines de ses reproductrices. À ces occasions, il n'était que l'assistant. L'expérience lui montre que le poulain doit être mal engagé et ne peut s'extraire seul du ventre de sa mère. Il enlève son manteau et commence à parler d'une voix qu'il veut rassurante. Il retrousse ses manches pour palper et sonder la jument en souffrance. Au toucher, il sent que quelque chose bloque le bébé et le gène pour sortir. Il n'arrive pas à identifier ce qu'il tâte. Le petit serait-il mal formé ? Y en aurait-il deux ? Il repousse fermement l'élément gênant tout en guidant le reste du corps qui commence à sortir. Tirant doucement vers lui, le bébé sort soudain libérant enfin la mère. Alors, sans bien comprendre ce qu'il est en train de voir, Robin débarrasse le petit animal des restes de la matrice et commence à le frotter délicatement avec sa cape. C'est une pouliche et elle possède des ailes. L'une d'elles s'était mal engagée dans le col et freinait la sortie du reste du corps. Bouche bée, le jeune homme s'assure que le membre n'est pas endommagé et présente à la mère, l'enfant qui a bien failli la tuer. Montant d'un degré supplémentaire dans la surprise, le pèlerin remarque la corne d'or torsadée qui orne le front de l'animal mythique.

- Eh bien ! Ma belle ! Heureusement que j'arrivais dans le coin, trouve-t-il simplement à dire à la magnifique bête qui lèche son petit en regardant son sauveteur de ses grands yeux sombres. Il lui impose ses mains quelques instants. Puis il flatte l'encolure immaculée en se disant :

- Ça y est, cette fois je suis en pleine terre fantastique. Maintenant encore plus qu'avant il me faudrait les conseils de Florial. Mais peut-être y aurait-il par ici d'autres élémentaux. J'aurais tellement besoin d'être accompagné en permanence par l'un d'entre eux.

- Me voilà ! répond une voix juvénile émergeant de la cape restée en boule derrière lui.

Les yeux écarquillés, Robin voit apparaître un petit être, réplique exacte d'un adolescent, le sourire moqueur et l'allure décontractée.

Robin détaille le lutin notant les différences d'avec Florial.

- Tu n'es pas un gnome, se renseigne-t-il.

- Je suis un lutin, répond la créature. Ton lutin, celui qui t'accompagne tout au long de ta vie.

- C'est la première fois que je te vois. Comment cela se fait-il ?

- Il fallait que tu m'appelles.

- J'ai demandé de l'aide cependant je ne savais pas que tu existais.

- Tout le monde sans exception a son lutin. Je suis ton génie familier, si tu préfères.

- Je suis très heureux de te connaître. Que peux-tu faire pour moi ?

- Te conseiller, te guider, effectuer toutes sortes de tâches domestiques faisant partie de mes compétences.

- Sais-tu soigner ?

- Ça ne fait pas partie directement de mes attributions mais j'ai appris au contact de Florial et au tien.

- Tu connais Florial ?

- Nous sommes du même monde.

- Pourquoi ne l'as-tu pas assisté ?

- Je l'ai fait, se défend le lutin. Je n'avais pas à intervenir dans son rôle auprès de toi. Maintenant que je suis là, je peux te répondre à tout instant.

- C'est une belle révélation, sourit le pèlerin. C'est bon de savoir que l'on n'est jamais complètement seul. Oh, oh ! fait-il en voyant la licorne se relever. Tu vas mieux toi, on dirait.

La bête fabuleuse et son petit ont envie de bouger.

- Elle a soif, dit le lutin. Tout près d'ici il y a une rivière. Allons-y !

Effectivement, ils ne parcourent pas cent mètres qu'ils se retrouvent au bord de l'eau. Son chant fait prendre conscience au pèlerin que les autres bruits, qui l'avaient dérangé jusqu'à la découverte de la jument, se sont arrêtés à ce moment-là.

- D'où provenait ce tumulte ? s'informe Robin.

- Ici, en Brocéliande, nous sommes au cœur de la féerie, répond le lutin.

- C'est ce que je remarque, dit le jeune homme en regardant les deux animaux.

La petite tente de déployer ses ailes et les agite par moment sans faire attention encore que sa mère n'en possède pas.

- Comment se fait-il que la pouliche ait des ailes ? s'étonne Robin.

- Le père en a probablement, l'éclaire judicieusement l'élémental. Viens voir, elle possède aussi les attributs de la mère.

Il indique le milieu du front et Robin sent sous ses doigts une légère protubérance qui signale la pousse prochaine d'une corne.

- Il fallait que cette bête ait drôlement besoin de toi, car, foi de Brindille, c'est la seule circonstance où j'apprends qu'une licorne s'est laissée approcher par un homme.

- Elle fuit la présence des humains ?

- Oui, surtout des mâles. Elle se lie d'amitié avec les femmes et plutôt les jeunes filles vierges. Ce qui n'est pas ton cas, insista le lutin en s'esclaffant.

- L'avantage que j'ai, c'est que je suis un guérisseur. En fait, ça veut dire quoi brindille ?

- C'est mon nom, se présente le lutin.

- Merlin m'a conseillé d'aller jusqu'à la Fontaine de Barenton. Sais-tu quelle direction prendre ? demande le pèlerin.

- Il suffit de suivre ce ruisseau, assure Brindille.

- Je ne me suis donc pas trompé, dit Robin. J'ai suivi le vol des oiseaux après les avoir priés de me précéder. Crois-tu que la pouliche peut nous suivre ?

- Nous sommes presque arrivés, les entraîne Brindille en prenant la tête de la petite troupe.

Le lutin sautille d'une pierre à l'autre, heureux que son ami l'ait enfin appelé pour se joindre à lui. Il avait pourtant bien essayé maintes fois d'attirer son attention mais les humains ne sont pas assez attentifs aux signes et ignorent les appels du monde merveilleux. Robin grimpe derrière lui en s'appuyant sur son bâton, surveillant les deux bêtes fabuleuses. La licorne encourage son enfant en le poussant doucement de son museau. Le petit animal fragile et gracieux avance d'un pas encore mal assuré mais ses aptitudes sont bien plus éveillées que celles d'un cheval ordinaire. Le groupe arrive en vue d'une clairière au centre de laquelle une pierre carrée signale la source.

La licorne s'arrête à quelques pas pour permettre à la pouliche de téter. Brindille s'assoit au bord du bassin et Robin entend les murmures des couples qui, suivant l'exemple de Merlin et Viviane, sont venus ici échanger des serments. Il se sent troublé par l'atmosphère qui règne et, des voix féminines mélodieuses l'envahissent, lui donnant un sentiment de manque auquel il n'avait encore accordé aucun intérêt. L'eau, attirante comme jamais, bouillonne de temps à autre.

Brindille lui souffle :

- Fais un vœu.

 

Fermant les yeux sur l'extérieur pour mieux les ouvrir sur son espace intime, Robin laisse parler les aspirations de son âme profonde. Telles les bulles de la fontaine, elles remontent de son être primordial pour émerger à sa pleine conscience. Il ne savait pas que son cœur était la motivation de toutes ses actions et là, dans le secret de lui-même, il le sent battre. Ce n'était pas que le moteur qui rythmait son corps physique. L'amour, quelle que soit la forme par laquelle il s'exprimait, générait, depuis l'aube de son existence, sa raison d'être.

Il voit à présent une grotte lumineuse, architecturée d'arcades fines, un temple dont la voûte se prolonge par un dôme ouvert au centre. Un lac sacré, de forme circulaire, s'étale jusque dans des galeries qui partent tout autour. Les rayons de lumière qui jouent sur la surface, projettent des reflets or et vert, animant tous les reliefs. Ils illuminent la cavité abyssale, révélant une vie aquatique. Un lotus blanc, légèrement rosé, commence à s'ouvrir révélant une présence que Robin ne peut encore observer. Il sait que ce que la fleur contient, c'est le but de sa quête. Il formule enfin son vœu avec toute la puissance de sa conviction. Refermant l'écrin de son âme, le pèlerin reprend pied dans le monde visible. Dans l'eau claire de la fontaine, deux salamandres, rayées de jaune et de noir, attestent de sa pureté. Sont-elles aussi les manifestations du couple de magiciens ?

 

Robin plonge sa main et s'arrête, interrompu par le cri de Brindille.

- N'arrose pas la pierre, le prévient-il trop tard.

La petite pouliche a bondi et, écartant ses ailes, protège la dalle de l'aspersion involontaire. Seule une goutte s'écrase sur la pierre.

- Oh ! fait Brindille affligé. Mettons-nous vite à l'abri.

Le groupe se précipite sous un chêne à l'épais feuillage tandis que se déclenche une averse torrentielle. Les éclairs qui commencent à zébrer le ciel les incitent à quitter la proximité des arbres. La licorne, se postant devant Robin, l'invite à monter sur son dos. L'orage se déchaîne et la foudre frappe les alentours de la fontaine. La petite troupe s'enfuit, emportée par la course fougueuse de la licorne. Robin, qui sait monter à cru un cheval, est cependant effrayé par la vitesse du galop.

- Ne crains rien, le rassure Brindille qui s'est abrité dans son cou, sous le capuchon. Tu ne peux choir de ce destrier magique.

- Est-ce moi qui ai déclenché cette tempête ? s'inquiète le jeune homme, hurlant pour couvrir le vacarme du tonnerre.

- Si l'on arrose imprudemment le perron de la fontaine, la nature se met en colère. Par contre, si le geste est délibéré, accompagné d'un rituel, il permet d'apporter la pluie en cas de sécheresse.

- Quel monde susceptible ! récrimine Robin.

- Il possède des règles et des codes, riposte Brindille.

 

La chevauchée se poursuit jusqu'à ce que l'orage cesse. De courte durée, comme l'est souvent ce type de phénomène, il s'achève enfin alors que la licorne s'engage dans une étroite vallée. La rivière qui l'a creusée, a enflé sous l'action de la pluie diluvienne et elle charrie un flot boueux ravinant les berges. Le soleil reparaît entre les nuages qui roulent leur lourde masse d'encre. La licorne s'arrête pour permettre à son petit de se reposer. La pouliche, malgré sa vaillance, trahit sa fatigue en soufflant bruyamment. Robin se laisse glisser du dos de la mère et réconforte, de son magnétisme efficace, le petit animal.

- Cette aventure sera à signaler dans les annales lutines, déclare Brindille. Elle crée un précédent. Une licorne ne permet en aucun cas de se laisser chevaucher. Ne t'en vante même pas, personne ne te croirait.

- Il faut dire que je m'accorde harmonieusement avec elle, considère le pèlerin.

- Excuse-moi de te détromper mais j'estime plutôt que c'est l'œuvre de Merlin.

- Ah bon ! dit Robin légèrement dépité mais cependant reconnaissant envers l'enchanteur. Que faisons-nous maintenant ?

- Suivons la licorne.

 

Celle-ci s'est remise en route et remonte le versant du val jusqu'à un plateau herbeux qui le surplombe. Des plages de rochers presque uniformes, aux lignes adoucies, offrent une plate-forme idéale pour se sécher. Les deux animaux se couchent pour reprendre des forces et Robin ôte son manteau trempé. Il s'approche vers le bord pour admirer le paysage. En contrebas, un lac brillant reflète impeccablement tout ce qui l'environne.

- Le Miroir aux Fées, annonce Brindille.

- Quel charme mystérieux ! s'exclame Robin.

- C'est exactement ça ! approuve le lutin.

 

La chaude pression solaire fait s'évaporer le trop-plein d'humidité et le val s'emplit d'une brume fumeuse. Cet effet naturel change l'aspect du lieu et renforce son caractère fantasmagorique. Robin s'attend presque à voir émerger quelque créature prodigieuse ou une citadelle engloutie. Il s'abandonne à la contemplation, prêt à pénétrer encore plus loin dans l'univers de féerie.

Robin s'est assoupi un moment après s'être allongé sur les pierres chauffées par un soleil printanier. Il se redresse et parcourt le paysage du regard. Les chevaux fantastiques ne sont plus là.

   - Brindille ? appelle-t-il.

   - Ah ! Tu es réveillé, répond le lutin aussitôt.

   - Où sont les licornes ?

   - Elles sont parties en direction du lac.

   - Comme ça, sans dire adieu ?

   - Elles n'ont pas forcément l'intention de nous quitter tout de suite.

   Robin ramasse ses affaires et s'approche de l'à-pic. Des rochers, à la curieuse structure feuilletée, surplombent le val et descendent jusqu'au plan d'eau. C'est l'escalier d'un géant poète qui a installé là son fauteuil de pierre pour contempler le miroir. Le pèlerin aperçoit les deux bêtes blanches qui on fait un détour par un sentier plus praticable.

   - Nous allons descendre par là, propose le jeune homme. Nous aurons plus vite fait pour les rejoindre. Accroche-toi, fait-il au lutin en lui tendant le bras, habitué à la position favorite de Florial sur son épaule.

   - Pas tout de suite, refuse Brindille. J'adore l'escalade.

 

   Les deux amis descendent rapidement vers le lac prenant tout de même le temps d'admirer le panorama. En bas, l'eau calme présente une surface immobile, paisible qui restitue parfaitement tout ce qui l'entoure et cela explique tout à fait d'où lui vient son nom : Le Miroir aux Fées. Robin et Brindille arrivent au bord, presque simultanément aux licornes qui ont dû faire un large périple par le chemin. La pouliche vient fourrer son doux museau dans la main du pèlerin, attirée par son magnétisme et sa tendresse. Il câline la superbe petite bête qui lui témoigne toute sa reconnaissance.

 

   Un grand bruit d'éclaboussures suivi d'une quinte de toux les fait soudain tous sursauter. Un curieux personnage est assis dans l'eau, dégoulinant, crachant, trempé comme eux après l'orage.

   - Eh bien ! Ce n'est pas tout à fait la saison pour la baignade, s'écrit Brindille d'un ton goguenard.

   - Oh, ça va ! le rembarre la créature en se remettant péniblement debout.

   Ses vêtements dégoulinent et, de ses cheveux blonds plaqués sur la tête, émergent des oreilles longues et pointues.

   - Si tu n'avais encore jamais eu l'occasion de voir un elfe, en voici un exemplaire mouillé, s'esclaffe le lutin.

   - Il pourrait même admirer un lutin arrosé, grogne le nouvel arrivant en envoyant vers Brindille des gerbes d'eau avec ses pieds.

   - Halte-là ! Soyons amis, déclare Brindille qui craint d'être aspergé.

   - Ah ! Te voilà, toi ! s'exclame l'elfe en apercevant la licorne. Ça y est, tu as pouliné. Tu pourras dire que tu m'as fait courir.

   - Bonjour, dit Robin. Cette bête est à vous ?

   - Les deux maintenant, corrige l'elfe. Comment vas-tu ? s'inquiète-t-il en approchant de la licorne. Pas mal, on dirait. Et la petite est superbe comme on l'espérait. En bonne santé, semble-t-il et sans dommages, commente-t-il pour lui-même en examinant les animaux.

   - À présent ça va mieux, précise Robin, mais elles ont bien failli mourir toutes les deux.

   - C'est vrai ? interroge l'elfe avec une peur rétrospective.

   - J'ai trouvé la licorne à l'agonie, éperdue de souffrance et d'effroi. La pouliche était coincée à cause d'une de ses ailes. Je suis parvenu à les délivrer et à leur redonner de la vigueur.

   Devant l'attitude incrédule de l'elfe, le jeune homme se présente :

   - Je suis guérisseur et mon père élève des chevaux. Je l'ai assisté bien souvent quand ses juments mettaient bas.

   - C'est la providence qui t'a placé sur leur route, constate l'elfe.

   - Ça m'étonnerait que ces bêtes t'appartiennent, intervient Brindille d'un ton sec. Les licornes sont libres. Personne ne peut revendiquer d'en être le propriétaire.

   - D'accord, avoue l'être pris en faute. J'étais juste chargé de la surveiller mais cette nuit elle a disparu et j'ai mis un temps fou à la retrouver.

   - Tu habites près d'ici ? s'enquiert Robin.

   - Pas du tout ! Je viens de très loin, répond l'elfe en jetant un coup d'œil vers Brindille.

   - Tu peux lui dire, l'incite le lutin. Nous aussi nous empruntons les couloirs.

   - Ah ! fait l'elfe étonné. Cet humain emprunte nos itinéraires ?

   - Bien sûr ! Ne sont-ils pas conçus pour eux ? rétorque Brindille.

   - La plupart du temps, ils ne savent même pas qu'ils existent. À force d'être si peu utilisés, ils vont finir par disparaître. En tout cas, j'en connais une qui ne s'est pas privée d'y pénétrer.

   - Elle devait être paniquée et a foncé tête baissée.

   - Oui, je pense qu'elle cherchait de l'aide.

   - L'instinct de ces animaux est subtil et elle a trouvé Robin.

   - Robin ! s'étonne l'elfe que le prénom fait tressaillir. Robin le pèlerin ?

   - C'est bien moi, acquiesce le pèlerin en question, abasourdi que sa réputation l'ait précédé. Comment me connais-tu ?

   - Je viens de l'endroit où tu es attendu.

   - Attendu ? Quelles sont ces balivernes ?

   - Je sais ton nom, n'est-ce pas une preuve ?

   - Pour un être de ton monde, ce n'est pas sorcier !

   - Ne prononce pas ce genre de mots, le reprend l'elfe en baissant la voix. Si je n'avais pas poursuivi la licorne c'est toi que je devais chercher.

   - Brindille, qu'en penses-tu ? se méfie Robin.

   - Il est sincère, entérine l'interpellé. Je devine derrière tout cela l'intervention de Merlin.

   - Tu es un protégé de Merlin, admire l'elfe soudain respectueux.

   - Assurément, affirme Brindille. Ils se sont rencontrés pas plus tard qu'hier.

  - Il faut alors nous hâter de rentrer chez nous, déclare l'elfe car l'événement est d'importance et je dois finir d'accomplir ma mission. Allez ! Je vous emmène.

   - Attend ! s'exclame Robin. Dois-je vraiment le suivre ? s'informe-t-il auprès de lutin.

   - C'est ton chemin, explique Brindille.

   - Puisque tu le dis, fait le pèlerin en reprenant son bâton.

   

   L'elfe a ramené les deux bêtes et les pousse vers le lac.

   - Par ici la sortie, indique-t-il.

   - Le miroir, c'est la porte ? s'étonne Robin.

   - Exact. D'ailleurs je ne m'y attendais pas, d'où mon plongeon malencontreux.

   Brindille fait une grimace, pas trop rassuré.

   - Grimpe sur mon épaule, lui propose Robin et le lutin ne se fait pas prier pour accepter.

 

   Le pèlerin embrasse d'un dernier regard ce pays dont il est tombé amoureux. Il adresse un salut à son ami Erwein-Gautier et souhaite revenir un jour ici. Il entre dans l'eau sur les pas de l'elfe et lui demande avant que celui-ci ne disparaisse :

   - Hé ! Toi ? Tu ne te t'es même pas présenté. Quel est ton nom ?

   - Filwellyn, dit Fil pour les intimes, répond l'elfe dont la voix s'éloigne.

 

   Robin avance résolument pour ne pas le perdre de vue. La pouliche lui jette des regards inquiets pour être bien sûre qu'il les suit. Elle semble lui être attachée presque autant qu'à sa mère. Le pèlerin qui connaît maintenant par cœur la procédure demande d'arriver là où l'elfe doit se rendre.